L’entrée en vigueur du confinement le 17 mars 2020, a induit l’apparition de nouvelles formes d’organisation du travail. Parmi celles-ci, le travail à distance ou plutôt le télétravail, s’est massivement répandu au sein des entreprises. Il permet de faire face en partie à la crise sanitaire en favorisant la réalisation de l’activité professionnelle des entreprises et des travailleurs. Cependant, il expose aussi chaque personne qui le réalise à des risques ainsi qu’à des troubles psychosociaux éventuels, en cas d’absence de mesures préventives.

Le télétravail : une forme de travail collaboratif à distance

Pour en comprendre les effets, il est nécessaire d’apporter au préalable un éclairage sur ce que représente le télétravail : il s’agit d’une forme de collaboration à distance, lors de laquelle le salarié exerce son activité professionnelle en dehors de son lieu de rattachement et notamment depuis son domicile. La réalisation de son activité passe par l’utilisation d’outils de travail collaboratifs, destinés aux échanges et aux partages de données et d’informations avec un collectif de travail et une hiérarchie.

En 2020, le télétravail n’est pas représentatif de l’organisation d’une majorité d’entreprises et d’institutions en France. Or, il apparaît comme une réponse pouvant être adaptée en situation de crise puisqu’il permet une poursuite de l’activité et participe au maintien de la productivité.

Les modalités de fonctionnement de cette organisation reposent sur un cadre juridique précis depuis 2012. Au préalable, peu de dispositions étaient prévues pour définir les modalités d’exécution du télétravail.

En effet, c’est la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives qui a introduit des dispositions spécifiques dans le Code du travail.

Le télétravail se voit ainsi défini par le Code du travail, à l’article L. 1229-9 comme : « toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication. »

À noter, l’article L. 1222-11 du Code du travail prévoit qu’en « cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés

Le télétravail : un mode d’organisation permettant de concilier performance de l’entreprise et qualité de vie des individus ?

Si le télétravail doit répondre à des obligations légales pour être mis en œuvre, il doit aussi, pour apporter une valeur ajoutée, permettre à l’entreprise qui l’emploi de favoriser sa performance organisationnelle et d’apporter une qualité de vie suffisante aux salariés. Cette conciliation n’est pas sans conséquence et si des effets positifs du télétravail existent, les effets négatifs potentiels doivent aussi être pris en compte pour ne pas générer l’apparition de problématiques psychosociales.

Les effets positifs du télétravail pour l’employeur et pour le salarié

Selon une enquête CSA menée en 2019/début 2020 pour Malakoff Humanis[1], le télétravail représente un vecteur de performance pour les dirigeants et directeurs des ressources humaines d’entreprises du privé. Les effets relèvent particulièrement des aspects suivants :

  • Amélioration de l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle (le bon équilibre des temps de vie favorise l’investissement et la motivation au travail sur le long terme selon une étude de l’ANACT en 2013[2]).
  • Accroissement de l’autonomie des salariés, en les responsabilisant et en leur confiant des tâches parfois à plus haute valeur ajoutée que lorsqu’ils travaillent dans les locaux de l’entreprise.
  • Participation au renforcement des collectifs de travail : le travail à distance nécessite la mise en œuvre d’outils de travail collaboratifs, destinés à impulser de nouvelles dynamiques de groupe, jusqu’alors peu représentées dans les entreprises. Elles ont un rôle fédérateur et permettent aux salariés de se retrouver autour d’objectifs de production commun, au sein de collectifs qui les protègent et les aident à lutter contre un potentiel isolement.

Toujours selon les résultats de la même enquête, télétravailler est bénéfique pour les salariés à différents égards, tels que :

  • Le télétravail facilite la conciliation vie professionnelle/vie privée : l’autonomie laissée aux salariés leur permet d’adapter et d’organiser leur temps de travail, en fonction de leur vie privée (Etude ANACT 2018[3]) et non plus l’inverse, comme ce qui est le cas lorsque le salarié se déplace dans les locaux de son entreprise.
  • Il permet aux salariés de développer de nouvelles compétences[4], notamment d’anticipation et de planification. De ce fait, il engage de plus en plus de salariés sur une responsabilité individuelle où chacun détient un rôle important pour l’atteinte des objectifs macroscopiques de l’organisation (difficilement atteignables dans une organisation uniquement de proximité).
  • Il participe à l’engagement individuel autour d’une culture d’entreprise forte. Les salariés se retrouvent à travers des valeurs communes, qu’ils partagent et qui les animent dans la réalisation de leurs tâches à distance.

De nombreuses études au-delà de celles citées, mettent en exergue les bénéfices du télétravail à différentes échelles. Néanmoins, cette forme d’organisation peut générer l’apparition de problématiques, à court, moyen et long terme, qui nécessite d’être anticipées par les entreprises afin de prévenir des troubles sur l’activité et la santé.

Des effets négatifs du télétravail à différents niveaux à ne pas négliger

Les modalités du télétravail sont diverses, à la fois pour le lieu et pour le temps de travail. En effet, le télétravail peut être effectué à domicile ou en télécentre dans des locaux partagés par plusieurs entreprise.

Pour l’employeur, les dispositions pour continuer d’assurer une surveillance de la quantité et de la qualité de travail peut être parfois contraignante, les détails d’affectation et de prise en charge des coûts peuvent être sources de conflits (Enquête publiée sur le portail juridique Droit, Travail et Finance en 2018[5]). L’organisation en télétravail impose bien souvent une double réorganisation, notamment au niveau du management intermédiaire, que les entreprises omettent de considérer : télétravail induit des modifications substantielles des conditions de travail, dont les dispositions sont effectivement régies par la législation, mais dont les modalités de réalisation dans le quotidien de travail doivent être définies par l’employeur.

A noter également les réalités différentes auxquelles les employeurs sont confrontés : selon l’organisation du travail en vigueur, le secteur d’activité, les contraintes et exigences du travail, les modalités de réalisation du télétravail ne sont pas les mêmes pour tous. C’est ce que montre le rapport publié en 2017 par l’Organisation Internationale du Travail[6]. A titre d’exemple, tandis que certains employeurs auront la possibilité de conserver un contrôle sur les activités réalisées par les salariés utilisant des outils de travail collaboratif ou autres technologies mises à disposition par l’entreprise, d’autres n’auront pas d’autres choix que de se fier aux informations remontées par les salariés. Dans les deux cas, c’est une transformation profonde et durable de l’entreprise qui est induite par le télétravail.

Au niveau de l’individu lui-même, il est à noter que le salarié travaillant en dehors de son lieu de travail, rencontre des inconvénients, s’il ne trouve pas un équilibre.

A la demande du ministère du travail, Bruno Mettling, a rendu un rapport sur la transformation numérique et vie au travail en septembre 2015[7]. Il y est fait état de la place accrue des nouvelles technologies dans la vie professionnelle ou personnelle des salariés. Avec l’ère numérique, ce rapport recense les avantages et les inconvénients du télétravail. M. Mettling a déduit de ce rapport que les nouvelles technologies améliorent notre qualité de travail tout en détériorant notre vie privée et familiale. Toujours selon ce même rapport, il établit que 61% des individus ressentent une augmentation de leur temps de travail.

Selon l’Officiel Prévention[8], Il faut aussi noter les risques liés à une disponibilité constante en raison de l’utilisation du téléphone ou de l’ordinateur portable, avec éventuellement un contrôle sophistiqué des télétravailleurs par surveillance régulière à distance (géolocalisation). Parmi les effets délétères, on retrouve également la réalisation de tâches sur des plages horaires excessives, ce qui est générateur de situations de stress et de perte de repères pour les salariés : travaillant seul, avec un sentiment d’absence de « cadre », l’individu peut ressentir une forme de mal-être et un isolement vis-à-vis de sa sphère professionnelle habituelle.

Toujours selon les constats établis par l’Officiel Prévention, le télétravail peut, dans certaines situations où il ne serait pas assez encadré, être propice à l’absence d’intégration (ignorance du fonctionnement, des orientations et des résultats de l’entreprise), à l’absence d’évaluation, de reconnaissance des savoirs engagés au travail et des résultats obtenus, à la fixation d’objectifs inatteignables ou flous. Toutes ces situations sont susceptibles d’engendrer des situations de souffrance psychosociale qui atteignent l’individu, mais qui rejailliront sur l’entreprise.

Des axes pour prévenir les effets délétères du télétravail dans un contexte de crise sanitaire

Le télétravail est généralement basé sur le volontariat, mais des dispositions spécifiques sont prévues par la législation pour faire face aux situations particulières, comme évoquées dans la partie juridique de cet article. La crise sanitaire traversée actuellement par notre pays représente une situation où le télétravail peut être contraint, pour permettre aux entreprises de continuer à être productive.

Certaines entreprises françaises sont déjà utilisatrices du télétravail mais d’autres ne l’ont pas intégré dans leur mode d’organisation. Il est nécessaire de déployer des dispositions et de conserver à l’esprit des points de vigilance pour que le télétravail détienne une valeur ajoutée tout en limitant ses effets délétères. Les modalités du télétravail devraient donner lieu à une formalisation contractuelle prévue par un accord-cadre européen, transposé par la France dans un accord interprofessionnel sur le télétravail en 2005 et fait l’objet de l’article L. 1222-9 et 10 du Code du travail introduit par la loi 2012-387 du 22 mars 2012.

Au-delà de ces aspects légaux, les entreprises peuvent recourir à des mesures simples mais efficaces en tant de crise pour favoriser la mise en œuvre du télétravail, telles que :

  • Etablir des règles de fonctionnement du travail à distance : des règles, claires, connues et partagées, doivent permettre d’avoir un cadre de référence commun que l’éloignement et/ou l’affaiblissement du lien social direct peuvent brouiller, pour que ne naissent pas des tensions entre les télétravailleurs et leur hiérarchie. Ces règles doivent s’édicter dans le cadre du double volontariat et sur le principe de réversibilité, à la fois pour l’entreprise et pour le salarié. Il est nécessaire que certaines recommandations en termes d’organisation du télétravail, de formation à l’utilisation des outils de travail collaboratif, soient édictées dans une charte, avec suivi de leur appropriation par le personnel.

De même que des règles destinées à protéger les données sensibles doivent être édictées : un bureau à domicile n’offre naturellement pas le même niveau de sécurité des informations que dans un bureau conventionnel en entreprise : le rangement et l’accès aux dossiers (armoire verrouillée), les protections de l’ordinateur pour limiter les intrusions ou tentatives malveillantes, doivent être précisées.

  • Etablir des règles de gestion du temps : l’employeur doit convenir de la durée du travail (compatible avec la durée légale), les cas et les limites de recours aux heures supplémentaires, et convenir des horaires durant lesquels le télétravailleur doit être joignable pour fixer un cadre respectant la vie privée.
  • Il est conseillé au télétravailleur de se fixer des échéances à court terme, sur la journée et sur la semaine de sorte à poursuivre un but individuel, qui lui-même s’imbriquera dans le but poursuivi par le collectif et par son entreprise. Entrevoir un objectif constitue un bon moyen pour maîtriser la survenue de stress.
  • Le management doit s’adapter au travail à distance : la définition claire des tâches confiées, des limites du rôle et des responsabilités, des échéances est nécessaire. La connaissance du responsable hiérarchique et des interlocuteurs de l’entreprise pouvant identifier les problèmes et discuter des solutions à envisager, notamment dans l’utilisation des outils informatiques, est aussi indispensable. Des réunions d’échanges périodiques entre le manager et les télétravailleurs doivent être organisées en prenant garde à la fréquence, qui ne doit pas être trop élevée (les réunions, points, briefs même de quelques minutes quotidiennes ne sont pas toujours profitables car génératrices de stress en lien avec les échéances et contraintes relatives à l’organisation personnelle des tâches).

Le manager doit tenir compte qu’en ce contexte, c’est une organisation en télétravail dégradée qui est parfois mise en œuvre : nombre de salariés sont contraints de travailler dans la même pièce qu’un autre membre de leur famille, ce qui n’est pas toujours profitable à l’activité professionnelle. Il est difficile d’exiger en ces temps que chaque salarié dispose d’un espace de télétravail conforme en tous points à ce que la loi préconise (au niveau du matériel, de l’espace, des outils, notamment).

C’est aussi au management, notamment de proximité, d’entretenir une hypervigilance sur la dégradation potentielle de l’état de santé de ses collaborateurs. Des signes comme un replis sur soi, une démotivation, doivent alerter et peuvent être symptomatique d’une souffrance psychosociale.

  • À tout moment, chaque télétravailleur quel que soit son statut, doit pouvoir se référer à un collègue/un supérieur ressource.
  • Prévenir l’apparition de troubles comme le stress, la fatigue chronique ou l’épuisement à travers la mise en place d’une ligne d’écoute et d’assistance psychologique qui aidera l’entreprise à détecter les télétravailleurs à risque.

Conclusion

L’épidémie de COVID-19 amène de nombreuses structures à mettre en place ou à généraliser le télétravail au quotidien et de très nombreux salariés à en faire l’expérience. Beaucoup de salariés en télétravail contraint n’ont pas été préparés à travailler à distance. Si cette expérience de transformation contrainte de l’organisation a des conséquences encore non maîtrisées, elle peut être riche d’enseignement pour l’entreprise et pour les salariés.

Le télétravail doit représenter un modèle organisationnel visant la recherche de l’équilibre entre la performance de l’entreprise et la qualité de vie au travail des individus.

C’est cette conciliation entre les objectifs de l’entreprise et les besoins des individus qui nécessite un retour d’expérience suite à la crise sanitaire afin d’éclairer les pratiques futures en matière de télétravail dans les entreprises et institutions françaises.


[1] Enquête CSA pour Malakoff Humanis réalisée auprès de deux échantillons représentatifs de 1610 salariés (recueil par Internet) et 402 dirigeant et DRH (enquête par téléphone) d’entreprise du secteur privé, contactés en novembre-décembre 2019 et février 2020.

[2] Etude ANACT, mars 2013. Favoriser l’équilibre des temps de travail et des temps sociaux.

[3] Etude ANACT, décembre 2018. Le télétravail améliore-t-il la qualité de vie au travail ?

[4] Entretien publié dans la revue Les Echos, 2013. https://business.lesechos.fr/directions-ressources-humaines/ressources-humaines/tele-travail/teletravail-fait-aussi-monter-le-collaborateur-en-competence-8367.php

[5] Enquête publiée sur le portail juridique Droit, Travail et Finance, 2018. https://www.droit-travail-france.fr/les-effets-nefastes-du-teletravail-_ad826.html

[6] OIT. 2017. Working anytime, anywhere: The effects on the world of work [Travailler en tout temps, en tout lieu: les effets sur le monde du travail] est disponible à l’adresse: www.eurofound.europa.eu/publications.

[7] Rapport Mettling. 2015. https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/154000646.pdf

[8] http://www.officiel-prevention.com/formation/fiches-metier/detail_dossier CHSCT.php?rub=89&ssrub=206&dossid=489